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domingo, 19 de septiembre de 2010

Frankétienne au Festival international de littérature - Hommage au père de la littérature romanesque créole

Caroline Montpetit 17 septembre 2010

Frankétienne (à droite) en compagnie du comédien
Garnel Innocent.- Photo : source: Philippe Bernard
Le jour du tremblement de terre qui a secoué Haïti, le 12 janvier dernier, Frankétienne était en répétition à Port-au-Prince pour sa pièce Mélovivi ou le piège, qui met en scène des personnages au bord d'un gouffre, au lendemain... d'un séisme.
Sauvé miraculeusement de l'effondrement de sa maison, l'auteur de 74 ans arrive à Montréal ces jours-ci pour jouer sa pièce au Festival international de littérature. Il y sera aussi l'objet d'une soirée-hommage.
Il faut dire que Frankétienne a profondément marqué l'histoire de la littérature haïtienne, entre autres en signant le premier roman en langue créole, Dézafi, qui vient d'ailleurs d'être traduit en français chez Vent d'ailleurs sous le titre Les Affres d'un défi.
Dézafi a été écrit en 1976. Frankétienne n'avait pas écrit une ligne en créole avant l'âge de 39 ans. Dans un autre texte, La Tourmente de la langue française, signé en 2003 et repris dans le livre Frankétienne, anthologie secrète aux éditions Mémoire d'encrier, il raconte aussi son premier choc, en tant que créolophone à la peau claire né du viol de sa mère par un industriel américain blanc, quand, à cinq ans, on lui a demandé son nom en français alors qu'il entrait à l'école. «Comment t'appelles-tu, petit? Phrase douloureuse de la mise hors jeu. Phrase indicative des exclusions sociales et de mon identité marginale.» Cette expérience l'a profondément marqué. «Cela m'a donné ce que j'appelle plutôt une motivation, faite d'un mélange de curiosité, de rage et de jubilation», dit-il en entrevue. Il se passionne alors pour la langue française, une langue étrangère pour lui, jusqu'à apprendre par coeur le dictionnaire Petit Larousse illustré. «Il y avait des mots doux, des mots sucrés, des mots salés, des mots amers, des mots tranchants», se souvient-il, citant par ailleurs Cioran, pour qui les rapports avec une langue étrangère sont faits «à la fois de tendresse et de violence».
C'est au cours d'une conversation avec le journaliste Jean Dominique, mort assassiné «par des gens de tous les milieux mafieux», que Frankétienne décide d'écrire son premier roman en créole. «C'est l'acte de baptême, l'extrait de naissance, l'acte fondateur de la littérature romanesque créole», dit-il. À cette époque, Frankétienne constate aussi que les personnes qui lisent son oeuvre en créole sont aussi celles qui la lisaient en français. «Lorsqu'un peuple est analphabète, constate-t-il, il ne lit aucune langue, même pas la sienne!» Aussi, c'est par son théâtre en créole que Frankétienne a réussi à toucher tous les niveaux de la population haïtienne. Pèlintèt, une pièce critique de la dictature duvaliériste, a connu un très grand succès en Haïti. Mais l'écrivain soutient qu'il faut aussi traduire les grandes oeuvres en créole, pour que «le peuple sache qui sont Goethe, Racine ou Molière».
Mélovivi, pour sa part, est la première pièce de théâtre que Frankétienne a écrite directement en français. «D'habitude, j'écrivais mes pièces en créole, puis je les adaptais en français, dit-il. Mélovivi est une pièce écrite à 80 % en français, parce que je pressentais qu'elle allait avoir une carrière à l'étranger.»
C'est en novembre 2009, donc deux mois avant le tremblement de terre en Haïti, que Frankétienne, taraudé par la menace écologique, pressent la nécessité d'écrire une pièce «pour la planète». Cette pièce devait être jouée le 20 janvier au parc historique de la Canne à sucre de Port-au-Prince.
Mais la terre a tremblé et la pièce n'a jamais été jouée à Port-au-Prince. Frankétienne songeait même à ne plus la jouer du tout lorsque Dany Laferrière l'a convaincu de continuer à faire ce qu'il savait faire, écrire, jouer, chanter, peindre. Mélovivi ou le piège sera donc présentée à la Cinquième Salle de la Place des Arts de Montréal, les 23 et 24 septembre prochains. Frankétienne y sera lui-même sur scène, accompagné du comédien Garnel Innocent. Le Festival international de littérature, qui débute aujourd'hui à Montréal, célébrera également la présence de Frankétienne à Montréal par une soirée-hommage, Haïti debout, montée par l'auteur et éditeur de Mémoire d'encrier, Rodney Saint-Éloi. «Je veux en finir avec le misérabilisme postséisme et offrir une traversée littéraire et sociale d'Haïti, plus soucieuse d'avenir, de beauté, et donc de grandeur», dit d'ailleurs Saint-Éloi à ce sujet. La soirée devrait avoir comme mot d'ordre: «de l'espoir comme mode d'emploi».
Frankétienne, auteur de plus de 40 oeuvres, figure sur la liste des candidats au prix Nobel de littérature. Il faut dire que l'écrivain est aussi peintre, et que c'est même de peinture qu'il vit, en plus d'être comédien, chanteur et enseignant. Il a en effet fondé en 1961 le collège Frankétienne, où il a été durant les deux premières années le seul et unique enseignant.
«J'ai dû enseigner toutes les matières à toutes les classes, écrit-il dans L'Anthologie secrète. Ce qui m'a aidé à acquérir une solide érudition.» Il  a aussi participé au mouvement spiraliste, qui étudie la spirale dans l'histoire du monde et qui l'utilise comme mode de création, qui plonge dans «le brassage chaotique du monde», parce que «le monde est chaos», dit-il. Il dit écrire la nuit et peindre le jour, à la lumière du soleil. «La sémantique est toujours défaillante par rapport à la richesse du réel.»

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